Je suis une étrangère qui ne sait même plus d’où elle vient ; qui ne sait plus les paysages, ni les odeurs, ni les musiques et les lumières.
J’habite une maison qui perd la tête. J’habite une maison aux perspectives douteuses. Elle est comme une boite qu’on secoue. Je cherche le moyen de maintenir les murs.
Je ne veux pas l’abandonner, les maisons qu’on abandonne restent parfois hantées, que risquerais-je de laisser derrière moi après ma fuite ? Reconstruire une nouvelle maison sur de bonnes bases, des fondations solides, les murs bien droits et lisses, des espaces bien pensés, cuisine équipée,VMC et détecteur de fumée… ?

Une telle demeure ne pourrait être la mienne, ou bien par erreur ! Mais ma maison est-elle plus vaste que ce que j’avais imaginé ? J’ai déjà fais ce rêve : J’étais chez moi et je découvrais un nouvel étage, un grenier. Il y avait des meubles entassés, tout un tas de bazar mais la pièce était plutôt vaste et baignée d’une belle lumière naturelle. Ce fût une découverte vraiment excitante mais dans mon rêve ça en restait là, juste un constat.
En mars 2020, je me suis sentie profondément atteinte, comme si contre mon gré j’avais subitement changé de pays, ou de maison, délogée d’un lieu familier et rassurant. Ce n’était plus tout à fait les mêmes murs et je ne reconnaissais plus mon plafond.

Confinés, on a jamais passé autant de temps chez nous et en nous aussi. Comme quand on fixe un objet qu’on connaît par cœur, pendant longtemps, un moment nous apparaît comme différent, nouveau, étrange…J’ai pu me sentir figée, arrêtée dans ma capacité à raisonner, penser, créer, car je ne parvenais plus à fonctionner comme d’habitude. Toute tentative étant vouée à l’échec, je n’ai eu d’autre choix que d’emprunter d’autres chemins, me sentant froidement inscrite dans une réalité que je n’ai jamais aimé fréquenter.
Ma maison c’est celle que j’habite, c’est l’endroit où je ne suis plus une étrangère pour moi-même.

Texte pour la série La Maison 2020